« Par l’une de ces habituelles ruses de la raison chères à Hegel, le vrai sens de l’histoire sera dissimulé jusqu’au bout aux protagonistes qui occupent l’avant-scène de la révolte étudiante, mais ne voient rien de la pièce qu’ils sont en train de jouer, s’agitant, à l’image de Daniel Cohn-Bendit, le “divin rouquin”, comme des acteurs enivrés par leur logomachie et leur verbigération. Plus que les formes traditionnelles des luttes sociales et du combat politique en l’efficacité desquelles ils ne croient pas, les “enragés” s’attachent à mettre en avant la force subversive de la libération du désir. Contrairement à la prophétie de Raoul Vaneigem et des penseurs de l’Internationale situationniste, ce ne sera pas la société marchande qui cédera sous les coups des “guerriers du plaisir à outrance”, mais l’idéologie du désir qui servira l’expansion du marché. Sous couvert d’une contestation radicale du système, le modèle culturel de libération des mœurs porté par le mouvement se révélera infiniment mieux adapté aux exigences structurelles du capitalisme de consommation que l’encadrement normatif des sociétés traditionnelles. Sous les pavés, il n’y avait pas la plage, mais Paris Plages. »
Patrick Buisson
La Cause du peuple, éditions Perrin, 2016