« Un demi-siècle après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Européens de l’Ouest, les Américains du Nord et quelques autres privilégiés, ici et là dans le monde, vivent provisoirement comme abrités dans une bulle de bien-être, tandis qu’alentour le reste de l’univers est soumis à la violence, à la précarité, à la faim… Durant leur longue existence nationale, les Français ont souvent bénéficié de cette sorte de “bulle” protectrice. Leur position géographique, à l’extrémité occidentale de la péninsule eurasiatique, a joué en leur faveur comme la mer pour les Anglais ou l’Océan pour les Euro-Américains depuis le XVIIe siècle. Après les conquêtes vikings, la France n’a plus connu la menace d’une invasion, ce qui est bien autre chose qu’une guerre dynastique, un conflit de bornage frontalier ou une petite guerre autour d’une ville qu’on se dispute entre voisins. Pendant plus de mille ans, les vraies frontières de la France furent défendues par d’autres sur l’Ebre, l’Oder ou le Danube. La France n’avait pas à se soucier de monter la garde face au « désert des Tartares ». Ses rois avaient la latitude d’adresser des sourires au Sultan dans le dos des chevaliers polonais ou autrichiens qui tenaient la menace ottomane éloignée de Paris. Loin des Sarrasins, des Mongols ou des Turcs, dans leur jardin abrité et soigneusement dessiné, les Français purent cultiver à loisir cet art de vivre unique en son genre, délicat, aimable et froid, ces jeux de l’esprit ordonnés autour du scepticisme, de l’ironie et de la raison, dont ils se sont tant fait gloire. »
Dominique Venner
Le Cœur rebelle, Les Belles Lettres, 1994, réédition Pierre-Guillaume de Roux, 2014