« Un guerrier dans une époque solaire peut admirer la grandeur humaine de son adversaire. »
Sylvain Tesson
Un été avec Homère, éditions des Équateurs, 2018
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« Un guerrier dans une époque solaire peut admirer la grandeur humaine de son adversaire. »
Sylvain Tesson
Un été avec Homère, éditions des Équateurs, 2018
« En termes écologiques, on dit que les signaux d’alerte sont dans le rouge. En termes mythologiques, on dit que les fleuves débordent de dégoût. Nous sommes, comme Achille, poursuivis par les eaux. Nous ne comprenons pas encore qu’il faut ralentir notre course vers ce gouffre que nous continuons sottement à appeler le progrès. »
Sylvain Tesson
Un été avec Homère, éditions des Équateurs, 2018
« Je n’ai pas de téléphone portable car je trouve d’une insondable goujaterie d’appeler quelqu’un sans lui en demander préalablement l’autorisation par voie de courrier. Je refuse de répondre au “drelin” du premier venu. Les gens sont si pressés de briser nos silences… J’aime Degas, lançant : “C’est donc cela le téléphone ? On vous sonne et vous accourez comme un domestique.” Les sonneries sectionnent le flux du temps, massacrent la pâte de la durée, hachent les journées, comme le couteau de cuisinier japonais le concombre. »
Sylvain Tesson
S’abandonner à vivre, éditions Gallimard, coll. Blanche, 2014
« Qu’est-ce que la solitude ? Une compagne qui sert à tout.
Elle est un baume appliqué sur les blessures. Elle fait caisse de résonance : les impressions sont décuplées quand on est seul à les faire surgir. Elle impose une responsabilité : je suis l’ambassadeur du genre humain dans la forêt vide d’hommes. Je dois jouir de ce spectacle pour ceux qui en sont privés. Elle génère des pensées puisque la seule conversation possible se tient en soi-même. Elle lave de tous les bavardages, permet le coup de sonde en soi. Elle convoque à la mémoire le souvenir des gens aimés. Elle lie l’ermite d’amitié avec les plantes et les bêtes et parfois un petit dieu qui passerait par là. »
Sylvain Tesson
Dans les forêts de Sibérie, éditions Gallimard, 2011
« Je crois à la mémoire des pierres. Elles absorbent l’écho des conversations, des pensées. Elles incorporent l’odeur des hommes. Les pierres sauvages des grottes et les pierres sages des églises rayonnent d’une force mantique. On est toujours saisi quand on pénètre sous une voûte de pierre qui a abrité les hommes. »
Sylvain Tesson
Une très légère oscillation, journal 2014 – 2017, éditions des Équateurs, 2017
« La température chute subitement ? J’abats du bois par ‑35° et lorsque je rentre dans la cabane, la chaleur procure l’effet d’un luxe suprême. Après la froidure, le bruit d’un bouchon de vodka qui saute près d’un poêle suscite infiniment plus de jouissance qu’un séjour palatial au bord du grand canal vénitien. Que les huttes puissent tenir rang de palais, les habitués des suites royales ne le comprendront jamais. Ils n’ont pas connu l’onglet avant le bain moussant. Le luxe n’est pas un état mais le passage d’une ligne, le seuil où, soudain, disparaît toute souffrance. »
Sylvain Tesson
Dans les forêts de Sibérie, éditions Gallimard, 2011
« Le journal est la bouée de sauvetage dans l’océan de ces errements. On le retrouve au soir venu. On s’y tient. On s’y plonge pour oublier les trépidations, on y confie une pensée, le souvenir d’une rencontre, l’émotion procurée par un beau paysage ou, mieux, par un visage, ce paysage de l’âme. On y note une phrase, une colère, un enthousiasme, l’éblouissement d’une lecture. Chaque soir on y revient. On lui voue sa fidélité. La seule qui vaille. La seule qui tienne. Le journal est une patrie.
Grâce à lui, le sismographe intérieur se calme. Les affolements du métronome vital qui explorait le spectre à grands coups paniqués se réduisent alors à une très légère oscillation. »
Sylvain Tesson
Une très légère oscillation, journal 2014 – 2017, éditions des Équateurs, 2017
« Le luxe de l’ermite, c’est la beauté. Son regard, où qu’il se pose, découvre une absolue splendeur. Le cours des heures n’est jamais interrompu. La technique ne l’emprisonne pas dans le cercle de feu des besoins qu’elle crée. »
Sylvain Tesson
Dans les forêts de Sibérie, éditions Gallimard, 2011
« Le sentiment de ne plus habiter le vaisseau terrestre avec la même grâce provenait d’une trépidation générale fondée sur l’accroissement. Il y avait trop de tout, soudain. Trop de production, trop de mouvement, trop d’énergies.
Dans un cerveau, cela provoquait l’épilepsie.
Dans l’Histoire, cela s’appelait la massification.
Dans une société, cela menait à la crise. »
Sylvain Tesson
Sur les chemins noirs, 2016, éditions Gallimard, coll. Folio, 2019
« Et si nos malheurs venaient de ce que nous vivons à trop grande échelle ? La terre se globalise, les frontières se dissolvent, les marchandises circulent. J’ai la subite envie de m’inventer une vie au 1⁄25000. C’était le rêve des anarchistes, des communards et des Grecs qui lisaient Xénophon : réduire l’espace de notre agitation, se replier dans un domaine, ne vouloir atteindre que ce qui est accessible. Accueillir des pensées universelles en cultivant un lopin. Ne côtoyer que les gens que l’on peut aller visiter à pied. Ne manger que les produits de sa propre région, en bref, vivre sur les chemins noirs, ces sentes secrètes qui strient les feuilles de l’IGN, échappant au contrôle de l’État. Il est urgent de changer d’échelle. »
Sylvain Tesson
Une très légère oscillation, journal 2014 – 2017, éditions des Équateurs, 2017
« Bourgogne n’était pas en reste dans l’affection au chef, mais autour d’une page, il livrait une autre clé : “Si nous étions malheureux, mourant de faim et de froid, il nous restait encore quelque chose qui nous soutenait : l’honneur et le courage.” L’honneur et le courage ! Comme ils résonnaient étrangement, ces mots, deux cents années plus tard. Étaient-ils encore en vie, ces mots, dans ce monde que nous traversions pleins phares ? Nous fîmes une courte halte sur le bas-côté, il neigeait, la nuit semblait en larmes dans le faisceau des phares. Dieux, me disais-je, en pissant dans le noir, nous autres, pauvres garçons du XXIème siècle, ne sommes-nous pas des nains ? Alanguis dans la mangrove du confort, pouvions-nous comprendre ces spectres de 1812 ? »
Sylvain Tesson
Berezina, éditions Guérin, 2015