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Citations sur la modernité
L’homme moderne est l’esclave de la modernité…
« L’homme moderne est l’esclave de la modernité : il n’est point de progrès qui ne tourne à sa plus complète servitude. Le confort nous enchaîne. La liberté de la presse et les moyens trop puissants dont elle dispose nous assassinent de clameurs imprimées, nous percent de nouvelles à sensations. La publicité, un des plus grands maux de ce temps, insulte nos regards, falsifie toutes les épithètes, gâte les paysages, corrompt toute qualité et toute critique, exploite l’arbre, le roc, le monument et confond sur les pages que vomissent les machines, l’assassin, la victime, le héros, le centenaire du jour et l’enfant martyr.
Tout ceci nous vise au cerveau. Il faudra bientôt construire des cloîtres rigoureusement isolés, où ni les ondes, ni les feuilles n’entreront ; dans lesquels l’ignorance de toute politique sera préservée et cultivée. On y méprisera la vitesse, le nombre, les effets de masse, de surprise, de contraste, de répétitions, de nouveauté et de crédulité. C’est là qu’à certains jours on ira, à travers les grilles, considérer quelques spécimens d’hommes libres. »
Paul Valéry
Regards sur le monde actuel, Librairie Stock, 1931, éditions Gallimard, coll. Folio Essais, 1988
On naît moderne…
« Ce n’est pas seulement un décalage, c’est un abîme de modernité qui nous sépare. On naît moderne, on ne le devient pas. Et nous ne le sommes jamais devenus. Ce qui saute aux yeux à Paris, c’est le XIXème siècle. Venu de Los Angeles, on atterrit dans le XIXème siècle. Chaque pays porte une sorte de prédestination historique, qui en marque presque définitivement les traits. Pour nous, c’est le modèle bourgeois de 89 et la décadence interminable de ce modèle qui dessine le profil de notre paysage. Rien n’y fait : tout tourne ici autour du rêve bourgeois du XIXème siècle. »
Jean Baudrillard
Amérique, éditions Grasset, 1986, Le Livre de Poche, coll. Biblio essais, 1988
On dit que les nouveautés ont toujours suscité de ces réserves…
« On dit que les nouveautés ont toujours suscité de ces réserves et de ces récriminations. On demande – imprudemment à mon avis – ce que nous serions devenus si le progrès n’était passé outre ces timidités et avait renoncé au chemin de fer ou à la télévision ; on cite Galilée et Pasteur, la loi inéluctable du devenir, “ainsi qu’il en fut toujours”, etc. Je ne discuterai pas maintenant ces sophismes : je ne parle pas de ce que les choses ont changé, mais de ce qu’elles ont disparu ; de ce que la raison marchande a détruit entièrement notre monde pour s’installer à la place. »
Baudouin de Bodinat
La vie sur Terre. Réflexions sur le peu d’avenir que contient le temps où nous sommes (1996), Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, 2008
Le passé n’a plus de présent parmi nous…
« Le passé n’a plus de présent parmi nous : l’usurpation marchande ne le supportait pas vivant, habité avec du linge aux fenêtres, qui la contredisait toujours : campagnes enchantées du temps de la traction animale, mœurs et usages curieux de ces contrées lointaines peintes à la main, quartiers perdus, rues pensives, paisibles maisons d’avant l’électricité, chansons qu’on chante, profusion des siècles ; qui ne sont plus et qui ne reviendront jamais : jetés tout vivants qu’ils furent dans la chaudière du progrès. »
Baudouin de Bodinat
La vie sur Terre. Réflexions sur le peu d’avenir que contient le temps où nous sommes (1996), Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, 2008
Notre enfance, c’était encore la civilisation des concierges…
« À présent notre XIIIe… on n’y retrouve le passé que par lambeaux épars… des morceaux au milieu des buildings… des Euro-Marchés nouvelle race de magasins agressifs ! Notre enfance, c’était encore la civilisation des concierges. »
Alphonse Boudard
Les combattants du petit bonheur, Éditions de La Table Ronde, 1977
Il y a chez l’homme moderne un besoin de simplification…
« Il y a chez l’homme moderne un besoin de simplification qui tend à se satisfaire par tous les moyens. Et cette monotonie artificielle qu’il s’efforce de créer, et cette monotonie qui envahit de plus en plus le monde, cette monotonie est le signe de notre grandeur. Elle marque l’empreinte d’une volonté, d’une volonté utilitaire ; elle est l’expression d’une unité, d’une loi qui régit toute notre activité moderne : la loi de l’utilité. »
Blaise Cendrars
Moravagine, 1926, éditions Grasset, coll. Le Livre de Poche, 1956
La distinction du possédant et du non-possédant…
« Il est certain que chez la plupart de nos contemporains la distinction du possédant et du non-possédant finit par tenir lieu de toutes les autres. Le possédant se voit lui-même comme un mouton guetté par le loup. Mais aux yeux du pauvre diable, le mouton devient un requin affamé qui s’apprête à gober une ablette. La gueule sanglante qui s’ouvre à l’horizon les mettra d’accord en les dévorant tous ensemble. »
Georges Bernanos
Les grands cimetières sous la lune, Librairie Plon, 1938, coll. Le Livre de Poche, 1977
Les rues nouvelles ne se souviennent pas de nous…
« Ici, où l’économie rationnelle nous a déportés, tout est de la veille, hâtif, électrique et nouveau, et semble-t-il truqué, bruyant et fébrile, qu’une rapide décrépitude emporte. Les rues nouvelles ne se souviennent pas de nous, ni les cafés plusieurs fois neufs depuis que notre jeunesse s’y hasardait suivant les fantômes de l’autre siècle : assis là parmi cette laideur de toc et de clinquant, de bruits idiots, on s’y sent plus ancien et moins provisoire, on ne reconnaît rien autour de soi, ni les gens. »
Baudouin de Bodinat
La vie sur Terre. Réflexions sur le peu d’avenir que contient le temps où nous sommes (1996), Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, 2008
S’il nous vient par inadvertance de vouloir songer aux jours futurs…
« S’il nous vient par inadvertance de vouloir songer aux jours futurs, aux années prochaines, à quoi ressemblera le monde et par exemple les informations que nous y entendrons le matin en nous réveillant ; aussitôt voilà notre entendement qui charbonne et notre âme qui se trouble comme de toucher à d’hostiles ténèbres : on dirait que ce présent où nous existons encore vivants et tangibles, ce vaste assemblage de tout ce qui existe, ce monde évident où nous sommes aujourd’hui sans étonnement, ne débouche bientôt sur rien que sur du néant. »
Baudouin de Bodinat
La vie sur Terre. Réflexions sur le peu d’avenir que contient le temps où nous sommes (1996), Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, 2008
Une alliance féconde d’où est sorti le monde moderne…
« La renaissance n’a été ni la condamnation pure et simple du moyen âge, ni un complet retour à l’antiquité. On doit y voir une alliance féconde d’où est sorti le monde moderne. »
Charles Lévêque
L’Œuvre païenne de Raphaël, in Revue des Deux Mondes, tome 76, 1868
Il n’y a nulle part où aller…
« Mais ce qu’il y a de particulièrement horrible dans le monde actuel, c’est que toute cette satanée histoire se passe dans un mouchoir de poche. Il n’y a nulle part où aller. […] Il y a seulement un point positif : l’habitude grandissante qu’ont les hommes mécontents à dynamiter les usines et les centrales électriques ; j’espère que cela, maintenant que c’est encouragé comme un acte de “patriotisme”, pourra rester une habitude ! Mais cela ne sera aucunement profitable si ce n’est pas universel. »
John Ronald Reuel Tolkien
Lettres (1981), n°52, édité par Humphrey Carpenter et Christopher Tolkien, trad. Delphine Martin et Vincent Ferré, Christian Bourgois éditeur, 2005
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