« Mais il faut remarquer aussi que l’homme naît original, et qu’il subsiste un devoir de le maintenir dans cet état. Il existe, à côté de la formation et du dressage par les institutions, un rapport immédiat au monde, et c’est de lui que nous vient notre force profonde. L’œil doit conserver la force, ne serait-ce que le temps d’un battement de paupière, de voir les œuvres de la terre comme au premier jour, c’est-à-dire dans leur splendeur divine. Il est des époques – et des états peut-être – où ce don est réparti parmi les hommes comme la rosée sur les feuilles. Il en est d’autres, par contre, où s’évanouit cet éther doré qui baigne les images, et les choses ne subsistent plus que sous les formes où nous les comprenons. La vision immédiate, qu’on nommera si l’on veut poésie, peut alors acquérir la valeur immense d’une source qui jaillit du désert. »
Ernst Jünger
Le cœur aventureux (Das abenteuerliche Herz), 1938, trad. Henri Thomas, Gallimard, 1942