« Ainsi, de quelque côté que je tourne mon esprit, je ne vois que des choses qui blessent la vérité et qui m’offensent, et dès lors condamné à ne rien voir, ne rien sentir, ne rien entendre, à non seulement ne rien dire mais aussi abjurer la violence de mon ethnocentrisme pour jouir enfin d’un monde bariolé, changeant, divers (la “diversité” en tant que nouvel euphémisme post-ethnique), il serait bon que j’en chante à présent les louanges, que je devienne un écrivain post-littéraire, que j’écrive des phrases courtes, nominales, sans hiérarchie de niveaux linguistiques, si possible sur des sujets modernes, c’est à dire socio-narcissiques : sans papiers, clandestins, opprimés, minoritaires, et sur moi-même en tant que garant du néo-puritanisme par ma capacité à “partager”, “communiquer”, à être un écrivain “comme toute le monde”. C’est, du moins, ce que l’on m’a maintes fois suggéré, au lieu de m’opiniâtrer dans mon devoir de témoin et de refuser la béatitude démocratique, refus qui, par un spécieux syllogisme, fait également de moi un raciste. »
Richard Millet
Chronique de la guerre civile en France, 2011 – 2022, éditions La Nouvelle Librairie, coll. Dans l’arène, 2022