« Mais quelle Europe ? C’est pourtant en réfléchissant sur l’Europe que nous pourrions accéder au plus haut point de vue d’où nous serait dévoilé dans “tout ce qui se passe” un unique enjeu. Je ne parle pas de l’Europe des marchés ou de l’Europe des masses. Je parle des traditions fondamentales de l’esprit européen. Je parle du réveil de la vieille mentalité européenne, toujours présente en nous portant. Car l’homme est ceci et cela, mais d’abord du temps lié. Je parle de la vieille recréation, sous des formes nouvelles, du vieil esprit de l’Europe, prométhéen et aristocratique. Prométhéen : la volonté de puissance de l’homme sur la nature. Aristocratique : reconnaître et cultiver dans les hommes leur capacité à se distinguer les uns des autres. Vieil esprit pour lequel chiffrer n’est pas tout, et pour lequel le nombre n’est pas le chef. Vieil esprit pour lequel il y a quelque chose au-dessus du social, de l’économique, du quantitatif : la faculté délicate, les hautes énergies intimes qu’il faut pour sentir et pour célébrer la qualité. Vieil esprit immortel qui voit dans les plus profonds enracinements la condition de la plus haute élévation, dans la disparité des natures humaines la condition de l’humanité organique, dans la diversité des cultures la condition de la culture. Je dis que notre fonds est à repenser. Ressaisir le passé de l’Europe, notre héritage, et l’adapter au nouveau millénaire qui approche. Rien ne me paraît plus important que la réflexion sur ce qu’il y a de spécifique dans l’esprit européen. Il y a bien, pour moi, un unique enjeu. Recréer le monde mental européen qui s’oppose à la fois au communisme et à l’américanisme. Et en refaire le premier parce qu’il fut le primordial. »
Louis Pauwels
Comment devient-on ce que l’on est ?, éditions Stock, 1978