« Qui se risque à citer Goethe et son « Il est en l’homme un appétit de servir » craint déjà de se rendre ridicule, alors qu’on vit dans un monde où la critique égratigne par principe le devoir de loyauté aux valeurs supra-subjectives. Quand on dit que le service des institutions est une « aliénation », on est certes dans le vrai, mais cette aliénation est la liberté même, la distance qu’on met entre soi et soi, et qui repousse ce qui s’est déposé plus ou moins par hasard dans la tête et le cœur, lorsqu’on les livre assez longtemps aux manipulateurs d’opinion. On peut s’estimer tenu de respecter les opinions des autres, mais en avoir soi-même est un vice, car c’est par elles que certains milieux bien identifiables légitiment le délitement des institutions, pour mieux convertir la société en un amas de particularismes. »
Arnold Gehlen
Morale et hypermorale, trad. François Poncet, Paris, Krisis, 2023