« Le divorce est consommé entre libéralisme et démocratie. Quand les marchés sont libres, les citoyens ne le sont plus guère, et s’ils peuvent l’être, si certains le sont, c’est la société qui ne l’est plus, tenue par autre chose, d’autres règles, d’autres lois qui lui sont étrangères, qui s’imposent à elle pour la dissoudre et pour lui substituer la collection d’individus séparés, par tout, et d’abord par leurs intérêts immédiats. La question de la justice, celle du social et de l’être-ensemble sont devant nous. Elles sont question de frontières et de séparations. Elles sont affaires de vie ou de mort.
C’est fini. L’« insurrection de la différence » (selon la formule de Georges Balandier) est devant nous. Elle répondra à l’utopie criminelle de la démocratie sans terre, qui conduit le libéralisme à détruire la démocratie – c’est-à-dire à nier la capacité de communautés humaines à décider souverainement de leur devenir – faute d’accepter la condition de leur constitution, qui est la séparation, l’écart et la singularité. Une société qui ne sait se nommer, se compter et se distinguer ne peut se conduire, elle perd la capacité du bien comme du mal. La confusion n’est pas amie de la liberté. »
Hervé Juvin
Le renversement du monde. Politique de la crise, éditions Gallimard, 2010