« Mais, hors de l’église, autour des bornes et des marches, les serfs étaient couchés côté à côte, rang sur rang, dans la terre, tous pareils, tous entre eux, comme des poignées de terre prise aux labours. Là, toutes ces têtes dures et toutes ces pauvres mains étaient tombées en poussière. Dix noms effacés par les pluies, et c’était toute la force éteinte et renouvelée de Sabolas, depuis le temps où l’évêque Isarn chassa les Sarrasins… Ces trépassés n’avaient en leur vie guère parlé plus que les bœufs du sillon et les moutons du pâtis — et pourtant ils laissaient à leurs descendants maintes leçons. Nul grimoire ne conservait aux coffres de Mortut le souvenir de mille manants défunts. Qu’est-ce que l’on savait d’eux ? Rien que ces noms qu’ils avaient transmis avec la peur de l’enfer, et le respect du seigneur, et l’appel confus de l’humaine fatigue vers l’avenir menteur… »
Henri Béraud
Le bois du templier pendu, 1926, éditions Le Livre de Poche, 1965