« À partir de trois heures, l’artillerie lourde allemande bombarde Rembercourt. À cinq heures, le feu prend à l’église. Le rouge de l’incendie se fait plus ardent à mesure que les ténèbres augmentent. À la nuit noire, l’église est un immense brasier. Les poutres de la charpente dessinent la toiture en traits de feu appuyés et en hachures incandescentes. Le clocher n’est plus qu’une braise énorme au cœur de laquelle on aperçoit, toutes noires, les cloches mortes.
La charpente ne s’effondre pas d’un seul coup, mais par larges morceaux. On voit les poutres s’infléchir, céder peu à peu, rester suspendues quelques instants au-dessus de la fournaise, puis y dégringoler avec un bruit étouffé. Et chaque fois jaillit, très haut, une gerbe d’étincelles claires dont le rougeoiement, comme un écho, flotte longtemps sur le ciel sombre. Je suis resté des heures les yeux attachés à cet incendie, le cœur serré, douloureux. Mes hommes, endormis sur la terre, jalonnaient de leurs corps inertes la ligne des tranchées. Et je ne pouvais me décider à m’étendre et à dormir, comme eux. »
Maurice Genevoix
Ceux de 14, 1949, éditions Flammarion, 2013