« Quand nous opposons au monde moderne le monde antique, ou traditionnel, cette opposition est en même temps idéale. Le caractère de temporalité et d’« historicité » ne correspond en effet, essentiellement, qu’à un seul de ces deux termes, tandis que l’autre, celui qui se rapporte à l’ensemble des civilisations de type traditionnel, se caractérise par la sensation de ce qui est au-delà du temps, c’est-à-dire par un contact avec la réalité métaphysique qui confère à l’expérience du temps une forme très différente, « mythologique », faite de rythme et d’espace, plus que de temps chronologique. À titre de résidus dégénérescents, des traces de cette forme qualitativement diverse de l’expérience du temps subsistent encore chez certaines populations dites « primitives ». Avoir perdu ce contact, s’être dissous dans le mirage d’un pur et simple flux, d’une pure et simple « fuite en avant », d’une tendance qui repousse toujours plus loin son but, d’un processus qui ne peut et ne veut plus s’apaiser en aucune possession, et qui se consume en tout et pour tout, en termes d’« histoire » et de « devenir » — c’est là une des caractéristiques fondamentales du monde moderne, la limite qui sépare deux époques, et donc, non seulement, du point de vue historique, mais aussi, et surtout, en un sens idéal, morphologique et métaphysique. »
Julius Evola
Révolte contre le monde moderne (Rivolta contro il mondo moderno), 1934