« En face de la Crète et de l’Archipel, quelque part sur la côte ionienne, il y eût une ville — nous dirions aujourd’hui une bourgade, ou même un village —, fortifiée. Elle fut Ilion, elle devint Troie, et son nom ne passera jamais. Un poète qui peut-être fut mendiant et chanteur des rues, qui peut-être ne savait ni lire ni écrire et que la tradition dit aveugle, fit un poème de la guerre des Grecs contre cette ville afin de reconquérir la plus belle femme du monde. Que la plus belle femme du monde ait vécu dans une petite ville nous paraît légendaire ; que le plus beau poème du monde ait été composé par quelqu’un qui n’avait jamais vu de ville plus grande est un fait historique. On dit que ce poème est tardif, et que la culture primitive était sur son déclin lorsqu’il fut écrit ; on se demande alors ce qu’elle produisait dans toute sa force. Quoiqu’il en soit, il est vrai que ce poème, qui fut notre premier poème, pourrait aussi être notre dernier chant. Il pourrait être le premier et le dernier mot de l’homme simple mortel sur sa propre destinée telle qu’il l’a peut voir. Que le monde périsse païen et le dernier homme fera bien s’il chante l’Iliade et meurt. »
Gilbert Keith Chesterton
The Everlasting Man (L’Homme éternel), éditions Hodder & Stoughton, 1925