« La vérité du conservatisme est celle de l’historisme, celle du sentiment de la réalité historique, entièrement atrophiée chez le révolutionnaire et chez le radical. Nier la succession historique, c’est rejeter et détruire la réalité historique, c’est vouloir ignorer l’organisme historique vivant, c’est attenter à l’être réel ; cela revient à nier et à détruire l’hérédité personnelle du moi. La réalité historique représente un individu d’un type particulier. Elle a une durée organique, ainsi que des degrés hiérarchiques. Détruire la structure hiérarchique du cosmos historique, c’est détruire l’histoire, et non pas la faire. Il se forme dans le cosmos historique des qualités qui sont irréductibles et indestructibles dans leur fondement ontologique. Cette hiérarchie des qualités fixées dans l’histoire ne doit pas faire obstacle à la formation de qualités nouvelles, elle ne doit pas brider l’élan créateur. Mais aucun mouvement, aucune formation de qualités nouvelles ne peuvent anéantir ni effacer les valeurs et les qualités historiques déjà cristallisées. »
Nicolas Berdiaev
De l’inégalité, éditions L’Âge d’homme, 2008