« Je comprends volontiers les hommes extraordinaires d’une époque comme des pousses tardives, soudainement écloses, de civilisations passées et de leurs forces : en quelque sorte comme l’atavisme d’un peuple et de ses mœurs : de la sorte, il reste vraiment quelque chose à comprendre en eux ! Aujourd’hui ils paraissent étrangers, exceptionnels, extraordinaires : et celui qui sent en lui ces forces doit les soigner, […] les faire pousser face à un monde qui leur est hostile : et cela le conduit à devenir soit un grand homme, soit un fou extravagant, si tant est qu’il ne périsse pas tout simplement tôt. Ces mêmes qualités étaient autrefois courantes et étaient considérées comme courantes : elles ne constituaient pas une marque distinctive. Peut-être étaient-elles exigées, présupposées ; il était impossible de devenir grand grâce à elles, et ce du simple fait qu’elles ne faisaient pas courir le risque de devenir fou ou solitaire. C’est principalement dans les lignées et dans les castes conservatrices d’un peuple que se produisent ces résonances de pulsions anciennes, alors qu’un tel atavisme est très peu probable là où les races, les habitudes, les appréciations de valeur changent trop rapidement. »
Friedrich Nietzsche
Le Gai Savoir (Die fröhliche Wissenschaft, la gaya scienza), 1882, trad. Patrick Wotling, éditions Garnier-Flammarion, 2007