« Ce n’est que par les mystères dionysiens, par la psychologie de l’état dionysien que s’exprime la réalité fondamentale de l’instinct hellénique — sa “volonté de vie”. Qu’est-ce que l’Hellène se garantissait par ces mystères ? La vie éternelle, l’éternel retour de la vie ; l’avenir promis et sanctifié dans le passé ; l’affirmation triomphante de la vie au-dessus de la mort et du changement ; la vie véritable comme prolongement collectif par la procréation, par les mystères de la sexualité. C’est pourquoi le symbole sexuel était pour les Grecs le symbole vénérable par excellence, le véritable sens profond dans toute la piété antique. Toutes les particularités de l’acte de la génération, de la grossesse, de la naissance éveillent les sentiments les plus élevés et les plus solennels. Dans la science des mystères la douleur est sanctifiée : le “travail d’enfantement” rendant la douleur sacrée, — tout ce qui est devenir et croissance, tout ce qui garantit l’avenir nécessite la douleur… Pour qu’il y ait la joie éternelle de la création, pour que la volonté de vie s’affirme éternellement par elle-même il faut aussi qu’il y ait les “douleurs de l’enfantement”… Le mot Dionysos signifie tout cela : je ne connais pas de symbolisme plus élevé que ce symbolisme grec, celui des fêtes dionysiennes. Par lui le plus profond instinct de la vie, celui de la vie à venir, de la vie éternelle est traduit d’une façon religieuse, — la voie même de la vie, la procréation, comme la voie sacrée… »
Friedrich Nietzsche
Crépuscule des idoles ou Comment on philosophe avec un marteau (Götzen-Dämmerung oder wie man mit dem Hammer philosophiert), 1888, trad. Patrick Wotling, éditions Garnier-Flammarion, 2005