« Dans une bonne ordonnance des choses politiques, la masse est ce qui n’agit pas par soi-même. Sa « mission » est de ne pas agir. Elle est venue au monde pour être dirigée, influencée, représentée, organisée — même quand le but proposé est qu’elle ne cesse d’être masse, ou du moins aspire à ne plus l’être. Mais elle n’est pas venue au monde pour faire tout cela par elle-même. Elle doit régler sa vie sur cette instance supérieure que constituent les minorités d’élite. On discutera autant qu’on voudra sur l’excellence des hommes excellents ; mais que sans eux l’humanité dans ce qu’elle a de plus essentiel n’existerait pas c’est un fait sur lequel il convient de n’avoir aucun doute, bien que l’Europe ait passé tout un siècle, la tête sous l’aile, à la façon des autruches, s’efforçant de ne pas voir une chose d’une si lumineuse évidence. »
José Ortega y Gasset
La révolte des masses (La rebelión de las masas, 1929), trad. Louis Parrot, éditions Stock, 1937