« Cette crise de la culture n’est pas le résultat d’un problème de moyens, de financement ou de gestion ; c’est un bouleversement intérieur. Il s’est produit, dans nos sociétés occidentales, un phénomène unique, une rupture inédite : une génération s’est refusée à transmettre à la suivante ce qu’elle avait à lui donner, l’ensemble du savoir, des repères, de l’expérience humaine immémoriale qui constituait son héritage. Il y a là une ligne de conduite délibérée, jusqu’à l’explicite : j’étais loin d’imaginer, en commençant à enseigner, l’impératif essentiel qui allait structurer ma formation de jeune professeur. « Vous n’avez rien à transmettre » : ces mots, prononcés à plusieurs reprises par un inspecteur général qui nous accueillait dans le métier le jour de notre première rentrée, avaient quelque chose de si étonnant qu’ils ont profondément marqué ma mémoire. « Vous n’avez rien à transmettre. » La culture est proprement ce qui se transmet. Ne plus faire subir à nos successeurs ce fardeau périmé que le passé jetterait sur leur liberté nouvelle, voilà le projet qui nous est proposé.
Désormais, il faut faire en sorte que chaque enfant puisse, pour créer un chemin personnel, produire son propre savoir. Écartés, le « cours magistral » et le « par cœur » ; refusée, l’idée qu’une conception du monde pourrait être transmise aux enfants par leurs parents. Nous avons perdu le sens de la culture. Elle est pour nous, au mieux, un luxe inutile ; au pire, un bagage encombrant. Bien sûr, nous continuons de visiter les musées, d’aller au cinéma, d’écouter de la musique ; et en ce sens, nous n’avons pas consciemment rejeté loin de nous la culture. Mais elle ne nous intéresse plus que sous la forme d’une distraction superficielle, d’un plaisir intelligent ou d’un agrément décoratif. »
François-Xavier Bellamy
Les Déshérités ou l’urgence de transmettre, éditions Plon, 2014