« Les dieux – entendez les passions qui nous donneront la force non raisonnée de vivre – ne viendront que si nous les méritons. Dans l’état sinistre où nous sommes, je ne peux que me demander – et ne vous demander, à vous, petit nombre – qu’une disposition à les accueillir. Ne pas succomber, ne pas rompre. Ne pas plier les genoux. Ne pas accepter la défaite qui en nous s’installe. Récuser la laideur qui nous lèche, en vue de jouissances immondes, de sa langue tiède. Dire non pour sauver l’éclat de notre oui. Notre courage, pour l’heure, est seul en cette forêt. Que faire ? Défricher. Tracer un sentier et, là-bas, au loin, qui vers nous s’avancera ? Je ne le sais pas. Personne en tout cas si nous ne nous efforçons pas d’ouvrir la voie. Quelqu’un peut-être, si nous avons battu le sentier et si nous sommes quelques-uns à toujours le garder ouvert, afin que les jungles toujours recommencées ne l’engloutissent. Et si nous sommes toujours obligés de tailler et d’élaguer, qu’importe ! »
Jean Cau
La grande prostituée, éditions de La Table Ronde, 1974