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Le livre
La mort en été

La mort en été

Auteur : Yukio Mishi­ma
Édi­teur : édi­tions Gal­li­mard, coll. Du monde entier, 1973

Pré­sen­ta­tion de l’é­di­teur : Dix nou­velles sont ici ras­sem­blées. Elles reflètent tout à la fois la diver­si­té des talents de Mishi­ma – art du détail comme du déve­lop­pe­ment thé­ma­tique, art de la des­crip­tion comme de l’el­lipse – et de la diver­si­té des uni­vers qu’il pénètre. Les hommes d’af­faires et leurs épouses, les gei­shas, les gens du peuple, les acteurs du kabu­ki, le vieux prêtre du temple de Shi­ga et les sol­dats finissent par com­po­ser un Japon moderne en butte à ses tra­di­tions sécu­laires. Et tout est là : l’a­mour vénal, l’a­mour sublime et sacri­lège ; la per­ver­sion des femmes et du monde de l’argent ; les super­sti­tions et le sens du sacré ; la mort. La mort acci­den­telle des enfants. Celle, atten­due, d’un vieillard. La mort rituelle, choi­sie pour l’hon­neur – ce sep­pu­ku que Mishi­ma a fina­le­ment exé­cu­té sur lui-même.

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Découvrez 6 citations extraites du livre

Il y avait dans son application quelque chose de somptueux et de théâtral...

« Devant le grand miroir de la pièce à quatre nattes et demie elle se regar­da. Les taches de sang for­maient, sur la moi­tié infé­rieure de son kimo­no blanc, un des­sin har­di et violent. Lorsqu’elle s’assit devant le miroir elle sen­tit sur ses cuisses quelque chose de froid et d’humide ; c’était le sang de son mari. Elle fris­son­na. Puis elle prit à loi­sir le temps de s’apprêter. (…) Ce n’était plus se maquiller pour plaire à son mari. C’était se maquiller pour le monde qu’elle allait lais­ser der­rière elle ; il y avait dans son appli­ca­tion quelque chose de somp­tueux et de théâ­tral. Lorsqu’elle se leva, la natte devant le miroir était trem­pée de sang. Elle n’allait pas s’en soucier. »

Yukio Mishi­ma
Patrio­tisme, 1961, in La mort en été, trad. Geof­frey W. Sargent puis Domi­nique Aury, édi­tions Gal­li­mard 1983, coll. Folio, 1988

La douleur irradiait le ventre entier...

« Len­te­ment, des pro­fon­deurs internes, la dou­leur irra­diait le ventre entier. Des cloches en folie son­naient, mille cloches ensemble à chaque souffle, à chaque bat­te­ment du pouls, ébran­lant tout son être. Le lieu­te­nant ne pou­vait plus s’empêcher de gémir. Mais la lame était arri­vée à l’aplomb du nom­bril et, lorsqu’il le consta­ta, il fut content et reprit cou­rage.
Le volume de sang répan­du avait régu­liè­re­ment aug­men­té et com­men­çait à jaillir de la bles­sure au rythme même du pouls. La natte devant le lieu­te­nant était trem­pée de rouge pas les écla­bous­sures du sang qui conti­nuait à s’écouler des flaques que rete­nait de ses plis le pan­ta­lon d’uniforme. Une goutte unique s’envola comme un oiseau jusqu’à Rei­ko pour se poser sur ses genoux et tacher sa robe blanche. »

Yukio Mishi­ma
Patrio­tisme, 1961, in La mort en été, trad. Geof­frey W. Sargent puis Domi­nique Aury, édi­tions Gal­li­mard 1983, coll. Folio, 1988

Elle aussi, Reiko, considérait passionnément son mari...

« Elle aus­si, Rei­ko, consi­dé­rait pas­sion­né­ment son mari, qui si vite allait mou­rir, et se disait qu’elle n’avait jamais vu rien au monde d’aussi beau. Le lieu­te­nant avait tou­jours bien por­té l’uniforme, mais aujourd’hui, regar­dant la mort en face, les sour­cils droits et les lèvres bien ser­rées, il offrait peut-être le plus superbe exemple pos­sible de beau­té masculine. »

Yukio Mishi­ma
Patrio­tisme, 1961, in La mort en été, trad. Geof­frey W. Sargent puis Domi­nique Aury, édi­tions Gal­li­mard 1983, coll. Folio, 1988

Le seppuku, se dit-il, est-ce cela ?

« Le sep­pu­ku, se dit-il, est-ce cela ? On aurait dit le chaos abso­lu, comme si le ciel lui était tom­bé sur la tête, comme si l’univers, ivre, titu­bait. Sa volon­té et son cou­rage, qui avaient sem­blé si fermes avant qu’il ne fît l’entaille, s’étaient réduits à l’épaisseur d’un seul fil d’acier aus­si fin qu’un che­veu, et il éprou­va comme un affreux malaise le soup­çon qu’il lui fal­lait avan­cer le long de ce fil et s’y atta­cher déses­pé­ré­ment. Son poing cris­pé était tout humide. Il bais­sa les yeux. Il vit que sa main et l’étoffe qui enve­lop­pait sa lame étaient trem­pées de sang. Son pagne aus­si était pro­fon­dé­ment teint de rouge. »

Yukio Mishi­ma
Patrio­tisme, 1961, in La mort en été, trad. Geof­frey W. Sargent puis Domi­nique Aury, édi­tions Gal­li­mard 1983, coll. Folio, 1988

Ce qu’il allait accomplir appartenait à sa vie publique, à sa vie de soldat...

« Ce qu’il allait accom­plir appar­te­nait à sa vie publique, à sa vie de sol­dat dont sa femme n’avait jamais été témoin. Cet acte exi­geait autant de volon­té que se battre exige de cou­rage ; c’était une mort dont la digni­té et la qua­li­té n’étaient pas moindre que celles de la mort en pre­mière ligne. Ce dont il allait main­te­nant faire montre, c’était de sa conduite sur le champ de bataille. »

Yukio Mishi­ma
Patrio­tisme, 1961, in La mort en été, trad. Geof­frey W. Sargent puis Domi­nique Aury, édi­tions Gal­li­mard 1983, coll. Folio, 1988

Il mourait sur un champ de bataille sans gloire...

« Tout autour de lui, dans l’immensité et le désordre, s’étendait le pays pour lequel il souf­frait. Il allait lui don­ner sa vie. Mais ce grand pays, qu’il était prêt à contes­ter au point de se détruire lui-même, ferait-il seule­ment atten­tion à sa mort ? Il n’en savait rien ; et tant pis. Il mou­rait sur un champ de bataille sans gloire, un champ de bataille où ne pou­vait s’accomplir aucun fait d’armes : le lieu d’un com­bat spirituel. »

Yukio Mishi­ma
Patrio­tisme, 1961, in La mort en été, trad. Geof­frey W. Sargent puis Domi­nique Aury, édi­tions Gal­li­mard 1983, coll. Folio, 1988

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